Visite incognito

Invité

Le tonton Jack...Une épine dans son pied, une déjection canine sur son chemin, un cheveux dans la soupe, une boîte d'allumettes vide, un orage lors d'une promenade bucolique, un escargot sur une feuille une salade, un... Il y était. Roméo vêtu d'un chapeau aux larges bords enfoncé jusqu'aux sourcils, d'un ensemble brun et d'une cape en velours noire frappa à la porte d'entrée.

S'il voulait mettre Ken à la rue pour mieux le récupérer chez lui, il devait se débarrasser de son loueur alias tonton Jack.
Il connaissait son prénom et sa profession: vendeur. Cela devrait suffire pour l'ange qu'il s'apprêtait à visiter. On lui avait dit grand bien de cette femme: discrète, efficace. Ses tarifs exorbitants ne lui avaient pas échappé non plus. Roméo ne savait pas encore comment il paierait, peut être en empruntant à Shion, sans lui donner la véritable raison.
Le sujet de l'argent n'était pas encore sur la table, chaque chose en son temps. En attendant il lui faudrait négocier sans concession et en restant maître de l'échange, il se composa donc un visage impassible et une attitude déterminée sur le perron en attendant qu'on lui ouvre la porte.

Du soleil, peu de nuages, un léger vent... Le printemps était de retours, et avait ramené avec lui les entrainements matinaux. En effet, il était toujours agréable de profiter des timides rayons d'avant midi pour ne pas mourir de chaud après cinq minutes passés avec un sabre.

En cette fin de matinée, je m'offrais un peu de repos, car cette nouvelle technique du Feu était assez difficile à maîtriser. Assise sur la promenade extérieure de la maison, je sirotais un thé, devant l'étang inondé de soleil dans lequel tournaient les quelques koï quittant doucement leur torpeur hivernale.

Un des deux moines, venus comme tous les jours pour l'entretient du jardin, me fit part de ses inquiétudes au sujet des fleurs de roussies, là où je m'étais entrainée quelques heures auparavant.

Au moment où ils s'en retournaient à leur temple, une fois leurs tâches achevées, je remarquai un bruit : quelqu'un longeait le mur entourant ma propriété d'un pas lent, semblant chercher quelque chose, puis s'arrêtant au niveau de la porte. Je dis alors aux moines :

"En partant, voudriez-vous bien ouvrir la porte et inviter le visiteur à me rejoindre? Je vous en remercie."

Ledit visiteur avait à peine frappé à la porte que celle-ci s'ouvrait, et tous trois furent surpris : l'un par la présence des deux moines, les autres par la précision de mes paroles. Toujours assise à la même place, à environs cinquante mètres de l'entrée, je souriais, m'amusant de la situation... que j'avais volontairement provoquée.

Invité

Quelle idée de se vêtir comme il l'avait fait, sa tenue relevait plus de la cabine de sauna portative que d'un déguisement. Un déguisement, il devait attirer l'attention à des lieues. Roméo résista cependant à l'envie de se débarrasser de ses oripeaux sur le pas de la porte, nul ne devait savoir que le chef cuisinier Oyada s'était rendu dans cette demeure. Un client victime d'une infection alimentaire et il serait accusé d'avoir ajouter quelques gouttes de poison à ses mets si cela se savait. Il lui serait alors difficile d'exercer à Meridell, et ses concurrents qu'il avait nombreux n'hésiteraient pas à faire circuler l'information, aussi fallacieuse soit-elle. Des incompétents prêts à fondre sur lui comme un rapace sur une musaraigne.

Son soliloque fut interrompu par l'ouverture de la porte. Ne venait-il pas de toquer? Son aparté silencieuse avait duré dix seconde, vingt peut-être...L'ange fut étonné de découvrir deux...moines?...dont l'un partiellement dissimulé dans l'ombre de l'ouverture.

-J'ai du me tromper d'endroit. L'adresse que l'on ma remise doit être fausse, balbutia-t-il.

Des moines...Devait-il y voir un présage? Roméo était pour le moment aux yeux de tous le serviable et aimable cuisinier, l'ami, le confident, le médiateur. Un esprit sain dans un corps sain pour arpenter les chemins d'une vie saine et simple. S'ils savaient...L'Oyada eut un petit rire pour lui même, il s'apprêtait à faire demi tour après s'être incliné poliment devant les deux hommes quand il remarqua la jeune femme qui semblait regarder dans leur direction. D'où il était il ne pouvait voir ses traits, seulement deviner à sa silhouette qu'il s'agissait d'une femme. Nouvelle expulsion d'air par le nez et coin des lèvres relevé. Il était au bon endroit, il n'aurait su dire pourquoi avec exactitude: son trouble, la surprise peinte sur le visage des deux moines, l'apparition féminine, sa petite voix intérieure...

-Maintenez cette porte ouverte, quelque chose me dit que la personne que je souhaite voir se tient au bout de ce chemin derrière vous.

Roméo n'attendit pas d'autorisation pour s'engouffrer par la porte ouverte et se diriger vers la jeune femme d'une démarche assurée non sans avoir incliné la tête en passant devant ses portiers estomaqués. Il n'aimait pas beaucoup les moines, moins il les voyait et mieux il se portait.

- Mademoiselle Kyo-Sin Ygaami? demanda-t-il une fois à portée de voix.

Je ne pu m'amuser de la situation que quelques instants. En effet, la surprise fut comme prévu au rendez-vous, mais mon visiteur semblait ne pas être né de la dernière pluie. Ayant aperçu les moines - qu'il ne semblait pas apprécier, au vu de l'expression qui se grava alors sur son visage - il bégaya, s'inclinant et s'excusant, évoquant une quelconque erreur de destination et d'indications. Cependant, lorsque les moines s'avancèrent pour sortir, dégageant ainsi la vue sur le jardin et la maison depuis l'entrée, l'inconnu changea derechef d'avis, et sembla sur d'être arrivé au bon endroit. Il s'avança alors au devant des moines, leur exprimant sa certitude.

D'un pas assuré, marchant bien droit, il s'avança dans ma direction, suivant le tracé le plus rectiligne que lui permettait le sentier - serpentant donc dans le jardin, longeant la rivière, puis la traversant. Il était, comme la plupart de mes clients, étrangement vêtu, qui plus est affublé d'un énorme chapeau... je fus d'ailleurs presque étonnée qu'il ne me demanda pas en premier un rafraichissement, la température étant déjà suffisamment élevée même sans toutes ces couches de tissus inutiles.

Je le regardais donc s'approcher de moi alors que le léger vent, arrivant dans son dos, m'apportait des odeurs de cuisines. Lors qu'il fut, à son idée, suffisamment proche pour que je l'entende, il me demanda si j'étais bien la personne qu'il recherchait. Je répondis à cette question - qui n'en était pas vraiment une - acquiesçant silencieusement de la tête.

Une fois de plus, cet homme ne se démarquait pas beaucoup de la majorité de mes clients... Un silence gêné s'installa - bien que la gêne ne fut présente que d'un côté - comme souvent lorsque quelqu'un venait me proposer du travail.

Bien que j'eus toujours apprécié le calme, ce silence me semblait trop pesant. Pour le rompre, par là même rompre la glace et la gêne de mon visiteur, je ne trouvai pas d'autre idée que de lui offrir un peu de thé.

"Je vous en prie, assoyez-vous. Désirez-vous du thé?"

"Je présume que vous êtes ici pour parler affaires..."

Replongeant mon regarde dans l'étang, je m'occupai de nouveau de mon thé en attendant qu'il me réponde.

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Le moins que l'on pouvait dire était que calme et impassibilité régnaient entre les murs de la demeure. Nous étions bien loin de la munificence des accueils auxquels était habitué le grand chef cuisinier Oyada. L'espace d'un instant, celui du silence qui suivit sa demande de confirmation d'identité, Roméo eut envie de faire demi-tour. Notre ange n'en fit rien cependant, il n'était pas dans ses habitudes de renoncer. Comme en cuisine il ne faut jamais abandonner, toujours aller jusqu'au bout quelque soit la difficulté de la recette. En cas de gros raté, avoir quelques poulets cuits dans la chambre froide et des légumes de saison, une sauce originale et goûteuse pour lier le tout. Toujours garder un atout dans sa manche...
Pour l'heure il n'en avait pas mais ne craignait rien: des moines et une femme dont la froideur aurait pu transformer ses gardiens en eunuques d'un regard. Peut-être aurait-il du apprendre à maitriser le feu et non la glace car déjà un frisson remontait le long de sa colonne vertébrale. Ken lui manqua terriblement à cet instant. Par politesse il sourit et accueillit la proposition de thé avec soulagement. Au moins pourrait-il s'occuper entre deux silences.

-Volontiers et oui.

Roméo s'adaptait vite à son environnement et entourage. A interlocutrice concise et distante: réponses brèves. Inutile de se présenter, point besoin de nom sur les billets fraichement sortis d'une banque de Meridell. Pour l'heure il n'avait rien en poche ni sur son compte dépassant un mois de salaire mais il se débrouillerait, quitte à jouer nu sur scène avec son comédien ou à mendier auprès de son frère ainé. Inutile de rester planté là comme un piquet, sitôt l'invitation à boire faite qu'il se débarrassait de son couvre-chef et de sa longue cape, le tout posé sur l'herbe entre celle qu'il venait voir et lui-même, comme une barrière à ne pas franchir ou un stop-froid. Assis en tailleur, une tasse de thé dispensant sa chaleur entre les paumes de ses mains en berceau, il laissa aussi dériver son regard sur l'étendue d'eau. Quand il fut disposé à exposer le motif de sa venue, quand sa tasse fut vide aux trois-quarts, il parla d'une voix monocorde et alla droit au but, ses yeux toujours fixés sur l'étang.

-La disparition temporaire d'une personne concourrait à faire mûrir un de mes desseins et pour cela j'ai besoin d'un professionnel qui pourrait faire cela proprement et dans la plus grande discrétion.

Roméo se tut, but le restant de son thé, posa la tasse sur l'herbe, repéra un poisson ou deux, suivit le vol d'une pie et enfin tourna son visage vers la jeune femme.

- Ai-je frappé à la bonne porte mademoiselle Ygaami Kyo-Shin?

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