Cherche a vendre des bijoux de famille [PV le gérant]

Shinzaburo était assis derrière son comptoir, à examiner un arrivage de pierres fines qu'il faisait danser dans la paume de sa main. La lumière vive de cette boutique pénétrait dans les gemmes, les inondait pour allumer un éclat de feu dans la matière translucide et pure. Il avait trouvé un bon fournisseur et après avoir évalué la taille, puis la façon dont les pierres étaient polies, il nota une phrase dans le cahier qui se trouvait sur le verre du comptoir à l'aide d'un plume à l'encre noire, dont le bouchon était orné d'arabesques argentées. En attendant qu'elle sèche, il replaça les gemmes dans leur prison de velours, un petit mouchoir qui avait recueilli en son sein ses petits protégés couleur sang, avant de ranger le baluchon dans un tiroir qu'il referma ensuite à clé. À cet instant, une dame fit son entrée dans la boutique. Son air particulièrement digne et sa grâce de poupée lui rappelèrent Juri, l'humaine qu'il hébergeait. Mais sa cliente du jour était bien différente de la soumise que le démon avait laissée chez lui, histoire qu'elle se familiarise avec son environnement. Non, cette jeune femme avait l'air de savoir ce qu'elle voulait, et Shin', accoudé au comptoir qui se trouvait au fin fond du Lys d'Or, finit par se lever. Sa chemise blanche, entr'ouverte au col, laissait apercevoir ses clavicules et sa gorge dénudée, bien que parée d'un collier qu'il avait lui-même confectionné avec une tanzanite, une pierre dont la couleur oscillait entre le violet et le bleu, comme les yeux du démon. Ce dernier remarqua un petit sac de velours à la main de sa cliente, où reposaient certainement des bijoux et des joyaux qu'elle désirait revendre. Souvent, l'on confondait la joaillerie avec la bijouterie, bien qu'il ne s'agisse pas du même art. Mais pour parer à toute éventualité, monsieur Amai savait maîtriser les deux. Enfin, il s'approcha de la splendide déesse qui avait daigné s'arrêter dans ce petit magasin neuf, qui avait ouvert deux jours auparavant. On en avait parlé, mais le patron devait encore faire ses preuves et ne recevait pas énormément de clients. Il s'inclina devant la belle, se saisit de sa main gauche pour y déposer un baiser suave, puis se releva en fixant sur elle un regard joyeux et nuancé de respect et d'admiration devant ce chef-d'œuvre de la nature.

« Bonjour mademoiselle, puis-je vous être utile ? »

Il avait en effet remarqué qu'elle ne portait pas d'alliance. Il sentait que ses doigts ne portaient rien, d'ailleurs, mais que son poignet avait droit à un bracelet. Mais pour ne pas embarrasser la jeune femme aux longs cheveux d'un bleu sombre et profond, il rompit le contact établi entre leurs peaux, constatant que sa chevelure et ses yeux étaient parfaitement accordés. Shin' replaça une mèche violine derrière son oreille à l'aide de ses doigts vernis de cette même teinte, sa crinière prisonnière d'un élastique qui les maintenait en place. Il portait un pantalon noir, comme le jais, et une épaisse ceinture où s'entrelaçaient de rubans de moire. Ses chaussures, pointues à leurs bouts, lui donnaient un petit centimètre de plus, il dominait très largement son interlocutrice mais n'en tirait ni fierté ni sentiment de supériorité. Dans son état normal, il s'agissait d'un démon parfaitement tolérant et très doux.

Shinzaburo gardait un sourire aux lèvres en écoutant la jeune demoiselle. Sa robe claire contrastait avec ses longs cheveux bien plus sombres ; elle soulignait parfaitement sa silhouette et ses formes sans la rendre vulgaire. Au contraire, elle lui conférait l'élégance et le maintien d'une grande dame, cela lui allait très bien. La richesse étalée dans cette boutique ne semblait pas la perturber, et le démon s'interrogea sur les origines de cette poupée. Elle conservait, dans sa main, le sac de velours dont il comprit qu'il contenait les bijoux que la démone désirait revendre. Il réfléchit quelques instants à sa proposition puis sourit plus largement au compliment de la belle.

« Merci. Je me suis évertué à la rendre plus agréable pour les clients que les joailleries habituelles. Quant à vos bijoux, je consens à les reprendre s'ils répondent à certains critères bien précis. Si vous avez un peu de temps, nous pourrions les étudier ensemble ? Après vous… »

À ces mots, Shin' s'écarta et d'un mouvement du bras, il désigna le comptoir situé au fond du Lys d'Or. Sur les talons de Chastity, il lui fit signe de passer avec lui derrière le bureau long et étroit. Il étala d'abord un petit carré molletonné sur le verre derrière lequel étaient exposés plusieurs modèles de son cru. Puis, il offrit un tabouret assez haut à sa compagne afin qu'elle s'asseye. Le démon se saisit d'un microscope qu'il plaça près de lui et attendit que les bijoux soit étalés avant de se saisir d'une médaillon faite pour être portée en sautoir. Il restait relativement simple, mais aussi très soigné : les cœurs des fleurs incrustés de joyaux, la finesse de leur polissage. Il tenta de l'ouvrir, tout en se saisissant d'une bague entre l'index et le pouce de sa main libre.

« Pardonnez mon impolitesse, je suis Shinzaburo Amai, à votre service, mademoiselle Keat. Qui vous a légué ces bijoux ? »

Il restait penché sur les bijoux finement ouvragés, et s'était adressé à Chastity sans la regarder, mais son ton concentré traduisait parfaitement le soin qu'il mettait à authentifier les pierres et les métaux précieux. C'était aussi afin d'engager la conversation, et repousser le silence qui risquait de s'installer. Il créa une minuscule aiguille de télékinésie afin de tâter les gemmes sans risquer de les abîmer, il s'agissait de véritables pierres fines.

La jeune femme observait la boutique d'un air calme. Elle semblait être des plus réputées à la vue des pierreries qu'elle aurait put dire de qualité sans même connaitre la joaillerie. Après tout l'homme semblait être très attentif. La réponse de l'homme fit sourire tout le visage de la femme avec les yeux. C'était avec une joie visible qu'elle se dirigea vers le lieu montré par l'homme.

"- Je suis ravie que vous acceptiez de les regarder. Cela est assez désespérant de savoir que l'on a de magnifiques bijoux mais que l'on ne les mettra jamais."

Elle avancait tranquillement laissant sa robe trainer légèrement derrière elle comme si un léger vent soufflait dans la boutique ce qui n'était rien. Le lieu était de plus en plus charmant malgré le grand nombre de bijoux que n'aimait peu la démone. Plutôt simple dans sa façon d'être les bijoux n'étaient pas d'un grand intérêt. Un petit carré fit son apparition où la jeune femme déposa avec beaucoup de soin lesbijoux a examiner. Après tout malgré son peu d'intérêt pour ses derniers elle en prennait soin. Tous les objets déposés à l'oeil expert de l'homme elle s'installa telle une grande dame sur le siège qui lui était proposé.

"- Enchantée de vous connaitre Monsieur Shinzaburo Amai. Les bijoux me viennent de ma mère. C'est ma tante qui me les a remis avant mon départ pour Meridell. Je ne pourrais vous en dire plus sur l'histoire de ses bijoux puisque je n'ai connu ma mère à cause de la guerre."

Elle restait souriante et calme comme toujours.

"- Je ne peux certifier leur authenticité mais ils m'ont semblaient très précieux, même trop pour rester dans un coffret qui sera dans un tiroir. Ne pensez-vous pas que les plus beaux bijoux sont ceux portés ?"

Une cliente comme celle-ci était toujours agréable à recevoir, d'autant plus qu'elle se montrait assez joyeuse. Shinzaburo appréciait son amabilité, sa courtoisie et son attitude humble qui la différenciait tant des pestes dont il avait l'habitude. Si toutes les jeunes femmes pénétrant dans sa boutique se révélaient aussi douces, son travail s'en verraient nettement amélioré. Il se demandait ce qui poussait cette démone à ne point porter ces bijoux alors qu'ils étaient très beaux et finement travaillés, mais il ne posa qu'une question relative à leur provenance. Comme beaucoup de pierreries et de joyaux dans leur genre, ils venaient d'un héritage. Le démon devait s'assurer que l'on tente pas de le rouler dans la farine, pour être poli, car souvent, le receleur se déguisait sous les traits d'une femme attirante, comme celle-ci. Bien qu'il ne doute pas ouvertement de sa version des faits, évidemment. Si elle était sincère et lui disait la vérité, ces bijoux amenaient avec eux les liens reliant une mère à sa fille, même si cette dernière n'avait pas connu sa génitrice. Le joaillier se sentit brusquement moins à l'aise et ne put s'empêcher de répondre à la jolie demoiselle en se levant.

« Je le pense aussi. Mais les bijoux n'embellissent pas leur propriétaire, c'est l'inverse. Une dame sans manières aura beau porter les pierres les plus rares et les plus convoitées, ce sera du gâchis. Thé ou café ? »

Il était passé dans l'atelier se situant à l'arrière de la boutique, et préparait quelque chose, dans un bruit de casseroles, plutôt discret. Il avait besoin d'une boisson amère et forte qui puisse le réveiller pour l'analyse à venir. Cela lui permettrait aussi de jauger le véritable comportement de son invitée. Il avait parlé un peu plus fort au fur et à mesure qu'il s'éloignait d'elle et entendit sa réponse avant de préparer ce qu'elle lui demandait, avec soin, comme à son habitude. Enfin, il déposa une tasse fumante, d'où s'élevait une odeur agréable, devant Chastity. La céramique était ornée d'une scène de la mythologie grecque, Vénus naissant de l'écume et du sang d'Ouranos. Il soupira, remit une mèche de cheveux violines derrière son oreille, pour la énième fois, et reprit de plus belle :

« Je peux récupérer ces bijoux, certainement. Mais ils ont bien plus de valeur sentimentale que de valeur concrète. Je ne voudrais pas que vous regrettiez cette vente. Êtes-vous sûre de n'en vouloir récupérer aucun ? Car ils vous relient à votre mère. Je ne sais pas… Ce que vous pensez d'elle, mais… »

La jeune femme aimable comme à la première minute avouait que les bijoux seraient plus beaux en étant portés qu'enfermés dans un coffret. Elle avait sa vision des choses comme tout le monde. En tout cas il y avait une chose de sûre qui était que l'homme ne l'avait pas encore déçue par rapport à un comportement déviant ce qui ne lui donnait pas l'obligation de se montrer un peu moins charmante pour lui rapeller le pourquoi de la visite. Alors qu'elle l'observait travailler elle se dit qu'elle aurait une chance de repartir sans ses bijoux. Elle ne désirait pas se le faire voler car après tout c'était un peu trahir le travail du créateur de ses bijoux. L'homme déclara que Chastity avait raison dans sa façon de penser avant de proposer une boisson.

"- Je prendrais un café s'il vous plait."

Malgré sa douceur la jeune femme aimait les boissons qui étaient par moment amères. Elle n'aimait pas le thé, ce qui pourtant semblait excellent. Elle observa la tasse posée devant elle avec attention. C'était la première fois qu'elle voyait une telle beauté dans cette céramique.

"- C'est un dessin de la mythologie ? C'est très beau comme art."

Il parla des bijoux et la jeune femme continuait à sourire doucement. Elle l'écoutait et comprennait que cela semblait étrange de se débarrasser de bijoux familiaux.

"- Je ne souhaite pas en récupérer un seul. J'ai un bijou qui lui appartenait et qui représente notre lien, c'est mon bracelet. Puis je préfère encore confier à une personne qui saura apprécier la valeur, s'il y en a, de ses bijoux que de les laisser dans un coffret et un jour me les faire voler. Je pense qu'un bijou qui n'est pas porté ne peut atteindre la plus belle de ses beautés. Puis je suis sûre que vous saurez en prendre soin et leur trouver la personne qui leur conviendrait. Je me fiche de l'argent. Ce n'est pas cela le but de ma visite, c'est trouver une maison plus attentionnée à ces bijoux. Puis en regardant cette boutique je me suis dit que c'était celle qui saurait le mieux comprendre le bijou."

Elle affirmait sa volonté de vendre ou même donner ses bijoux à cette boutique et non à les laisser chez elle dans un coffret de bois qui sera oublié.

Shin' avait déposé la tasse de café encore chaud devant sa cliente et s'était ensuite rassis, son regard toujours fixé sur la demoiselle sans pourtant se montrer impoli ou goujat, loin de là. Il observait cette jolie créature d'un œil admiratif. À se demander pourquoi tout le monde n'héritait pas de la même grâce de Chastity. Sa question et son avis arrachèrent un nouveau sourire au joaillier, et comme la démone n'avait pas encore pris sa tasse, il fit courir le bout de son ongle venir en violet sur la céramique qui taillait la taille et les courbes d'une Vénus lascivement allongé sur des draps d'écume teintés de pourpre.

« En effet, il s'agit de la naissance de la déesse de l'amour, Vénus. Mais je crois que je tiens là une rivale pour elle, vous êtes aussi charmante. »

Charmeur ? Du tout, d'autant plus qu'il pensait que qu'il disait. La jeune femme se montrait très compréhensive et douce, ce qui rendait l'ambiance un peu plus chaleureuse et appropriée pour la discussion. Tandis que le démon achevait sa gorgée de café et qu'il reposait sa tasse parée, elle, des suivantes d'Artémis, il posa son regard sur une bague avant de s'en saisir. Il était très intéressé par ce que lui amenait sa magnifique interlocutrice et pensait de plus à plus à les lui acheter. Quant à les revendre… Il préférait s'occuper de cette étape plus tard. Il appréciait le travail du créateur et le façon dont Chastity traitait ces bijoux. Elle se révélait sensible et parfaitement raisonnable ; le joaillier ne pouvait pas prétendre qu'elle avait tort.

« Je les examinerai plus en détail durant l'après-midi, je me sentirai coupable de vous retenir pour ces simples formalités alors que je ne doute pas de votre bonne foi. Si vous désirez vous en séparer, j'exaucerai votre vœu, mais je n'ai pas encore pu faire de bénéfices qui puissent me permettre de vous les racheter au prix qu'ils méritent. Laissez-moi donc vous offrir quelque chose. »

Et avant qu'elle ne puisse protester, il se leva, posa un doigt sur les lèvres charnues de la princesse qu'elle était avant de se diriger vers une vitrine d'exposition qu'il priva d'un coussin de pierreries incrustées. Il revint vers la démone et posa devant elle une parure entière de saphirs fixés à des mailles d'argent. Il avait remarqué qu'elle aimait la simplicité et s'était rappelé de ces bijoux qu'il avait créés. De plus, il n'y avait pas de bracelet. Elle en portait déjà un, ça l'arrangerait certainement. Et le bleu profond des pierres s'accordait à sa longue chevelure et ses beaux yeux.

« Voici les larmes de saphir. Veuillez les accepter, s'il vous plaît. Sachez qu'en plus de cela, vous toucherez vingt pourcent du prix de chaque vente des bijoux que vous avez apportés. »

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